On dirait le sud 🇹🇫

Le Marion passa mi-février pour récupérer une grosse partie des scientifiques de la campagne d’été, marquant un premier ralentissement avec l’hiver qui s’approche. La base devient plus intime et les manips’ deviennent plus ardues avec la météo plus capricieuse. Le rythme est resté tout de même assez intense, avec la préparation d’OP1 (dernière OP avant l’hiver !)

Voici donc un petit résumé de cette période de fin d’été, officiellement établie comme l’“automne” à Kerguelen (même si cette définition n’a que très peu de réalité climatique). Tout comme le précédent article, je ne peux pas me montrer exhaustif, mais vous fais une petite sélection des moments mémorables. Je garde également pour plus tard –pour un autre article– mes travaux sur base.

Un peu de géophysique

Félix, mon binôme, et moi-même assurons notamment l’instrumentation des différents programmes scientifiques soutenus par l’Institut polaire. Parmi ces programmes, nous avons un observatoire du champ magnétique terrestre et un observatoire de sismologie, qui historiquement constituaient l’activité principale de notre binôme. De cette époque, nous avons gardé le nom de notre fonction, les “Géophys”, l’une des plus anciennes fonctions scientifiques encore en activité à Kerguelen.

À l’automne, la nuit gagnant rapidement sur le jour au passage de l’équinoxe, les aurores se sont fait plus visibles et à cette occasion, Félix a donc fait une carte postale que voici :

Carte postale Géophy 74

En réalité, nous ne sommes pas beaucoup plus au sud que Dunkerque est au nord. Toutefois, le pôle Sud magnétique n’étant pas du tout au niveau du pôle géographique, mais par-delà le continent (au nord de Dumoent d’Urville), nous avons régulièrement le droit à ces spectacles de lumières dans notre ciel. Ils sont parfois d’une intensité incroyable, décuplée par l’absence totale de polution lumineuse. Une occasion très concrète d’observer les phénomènes que nous étudions toute l’année.

Canons des Sourcils Noirs

Concernant les manips de cette période, la plus marquante restera le terrain aux Canons de Sourcils Noirs (IGN 1965, mais prononcé Canyons de Sourcils Noirs) : une belle manip de 10 jours dans la cabane la plus sud de Kerguelen, à côté des hautes falaises du sud de l’archipel, une côte légendaire par sa beauté. Comme la plupart des sorties terrains, elle mutualise plusieurs programmes et, dans mon cas, c’est pour l’entretien de deux stations autonomes que je rejoins le groupe. Je suis accompagné de deux ornithologues et le chef sécurité de Kerguelen : l’accès aux lieux est soumis à une autorisation de travail en hauteur et peu de personne sur base sont habilités.

Le chaland nous dépose au sud du golf, au halage des naufragés. Cette petite bande de terre qui relie une grande presqu’île à la Grande Terre est recouverte de morceaux de bois anciens qui laissent imaginer l’origine du nom. Quelques heures plus tard, nous quittons le haut plateau des Hurlevents pour descendre dans un canyon solitaire. Au fond, une cabane à l’allure de chalet alpin qui sera notre abri pour les jours à venir.

Canyon de Sourcils Noirs.

Les deux ornithologues viennent étudier les albatros à Sourcils Noirs (l’espèce qui a donné le nom à la localité) dans une grande colonie mixte à pan de falaise. L’endroit est impressionnant par le nombre d’individus et la diversité des oiseaux ! D’un seul coup d’œil, nous repérons plusieurs espèces d’Albatros, à Sourcils Noirs, Fuligineux à dos sombre, à Tête grise, etc., des Gorfous Macaronis, des pétrels et encore d’autres espèces. On comprend rapidement l’intérêt scientifique de l’endroit et nous passerons plusieurs jours sur la colonie.

Poussin d’Albatros à Sourcils Noirs.

Depuis notre arrivée, la météo se dégrade de jour en jour et le ciel bleu des premiers jours commence à laisser place à des averses plus typiques de l’automne australe. Quelques jours plus tard, le BCR annonce à notre vacation du soir une tempête de neige : le chaland est bloqué à Port-aux-Français et nous resterons deux jours de plus à la cabane.

Le BCR, pour Bureau des Communications Radio, est le bureau de l’Armée de l’Air en charge des veilles et communications VHF entre la base et le personnel sur le terrain.

L’occasion d’aller voir (sous la tempête donc) les falaises de Sourcils Noirs, hautes de 500 mètres et tombant à pic dans l’océan Austral. Faisant face à l’océan Antarctique, elles écrasent par leur impressionnante hauteur et par la noirceur de la roche. Un spectacle impressionnant, d’une grandeur à l’image de l’archipel.

Falaises de Sourcils Noirs (C’est aussi la photo de couverture de cet article.).

Le retour sur le chaland fut secoué, mais nous rentrions à Port-aux-Français sans encombre, juste à temps pour OP1, passage du Marion Dufresne manquant la fin de l’été et le début de l’hiver.

Winter is here

Ça y est, on y est. Ce jour où le mot “hivernage” prend tout son sens. Le Marion s’en va au loin, avec à son bord nos compagnons et amis, arrivés en même temps que nous, mais ne restant qu’une demi-année. Difficile de ne pas avoir le cœur lourd de cette abrupte séparation et difficile de ne pas être écrasé par tout ce que Kerguelen nous a offert.

Les fronts se creusent, le temps nous vieillit et fais plier nos corps. Les premiers sont partis mais dans une autre vie on chantera encore.

Le Marion Dufresne s’en allant après OP1.

On se regarde et on se compte : 43 pax. Ce n’est pas si terrible au final, et c’est bien plus un sentiment de confiance et un esprit de corps qui nous porte à ce moment-là. L’hiver se dresse devant nous et la météo des semaines suivantes nous le montrera bien.

Je vous remercie pour vos différents retours sur mon blog, et je vous raconterai bientôt la suite de cette drôle d’aventure (ici !). Mai marquera la moitié de ma mission à Kerguelen, un moment symboliquement fort qui est arrivé bien vite !