On dirait le sud 🇹🇫

Un hivernage dans les quarantièmes rugissants

Transit dans le fiord de Bossière - Janvier 2024

Campagne d'été à Kerguelen

Oulà ! Cela fait très longtemps que je n’ai pas écrit ici ! Ce n’est pas par désintérêt croyez-moi, mais bien à cause d’une bête idée reçue sur Kerguelen : lorsque l’on prépare nos malles pour l’année à venir, on prévoit plein d’occupations comme si l’année à venir serait une année blanche où l’ennui sera notre principal compagnon. C’est faux, et c’est même l’opposé que l’on constate une fois sur place. Le travail est très prenant, passionnant et particulièrement occupant. Les activités sociales, décuplées dans cet environnement si particulier, occupent le reste du temps. Au final, je n’ai pas ouvert une seule de mes nombreuses lectures que j’avais prévues, écris la moitié des lettres que je souhaitais rédiger et je n’ai pas touché à ce blog depuis le début de l’année.

Voici donc un article pour rattraper le premier tiers de l’année 2024, consacré à la “campagne d’été” 2024, c’est-à-dire la période allant de OP4 2023 (décembre 2023) à OP0 2024 (février 2024). C’est la période la plus intense de l’année où la marche scientifique bat son plein, où de nombreux scientifiques et ingénieurs sont sur base, et où la majorité de la science à proprement parler est effectuée. Alors, reprenons depuis le début !

20 000 lieux dans les terres

La polyvalence de mon rôle m’a ouvert de belles portes vers un monde perdu, unique et sacrément isolé qu’est l’intérieur des terres de Kerguelen. Une chance incroyable qui force l’humilité face à un environnement si vaste et rude. Voici quelques récits de l’été, pour essayer de vous partager un peu de notre vie de terrain, ici à Kerguelen.

Chez les Irlandais

Les traditionnelles fêtes de fin d’année étant derrières nous, nous attaquons à proprement parler la campagne d’été, et dans mon cas ce sera par probablement l’une des plus belle manip’ qui me sera donné de faire : une mission dans la partie nord de l’archipel pour installer des stations sismiques et faire de la logistique, une mission avec la Curieuse.

La Curieuse © Pierre P. - Institut polaire français

C’est un bateau de petite taille (type navire de pêche) utilisé par l’Institut Polaire et les TAAF pour caboter le long des côtes de Kerguelen, dans des régions inaccessibles à pied, trop éloignées de la base. Son petit gabarit lui permet de remonter profondément les fjords de Kerguelen et de naviguer dans ces eaux mal connues. Dans mon cas, j’embarquais pour une mission de huit jours dans la zone de la Baie Irlandaise pour installer une station sismique locale pour le programme Lisisker et pour différentes missions logistiques de l’Institut.

Installation d’une station sismisque © Pierre P. - Institut polaire français

Le centre de Kerguelen est plus haut et recouvert d’une épaisse calotte glaciaire : la calotte Cook. Tristement célèbre comme ayant l’un des reculs les plus rapides du monde, il s’agit de la seule calotte glaciaire française, de très loin le plus grand glacier de notre pays, se divisant sur ses bords en de nombreux autres glaciers, tous parmi les plus grands glaciers de France. J’ai pu m’approcher du glacier Vallot, sur la partie Nord Est de la calotte, offrant de vastes paysages et une drôle de sensation de petitesse. Il est difficile de croire ce que l’on voit et cet endroit fait ressentir une émotion typique à Kerguelen indescriptible, étrange mélange d’admiration, d’humilité et de sérénité.

Épopée de Val Travers

L’archipel semble déjà si grand en bateau, alors je vous laisse imaginer le sentiment qui vous envahit lorsque vous parcourez les Kerguelen à pied. C’est ce que j’ai été amené à faire une semaine plus tard, pour une manip’ de sept jours dans différentes cabanes du plateau central. On aurait dit une aventure de ces vieux contes d’antan à traverser de grandes terres vides, ou alors l’épopée des nains dans Le Seigneur des Anneaux pour ceux qui préfèrent des références plus modernes.

Nous fûmes déposés par le chaland à l’ancien port abandonné d’Armor, ancienne pisciculture scientifique, profondément cachée dans le golf. Une équipe restera sur place quelques jours pour mener des recherches dans les environs. Nous, nous partons directement vers le fond du fjord des frères Bossière, vers l’ouest du plateau central.

Port d’Armor

Vieux fillods d’Armor. L’un d’eux sert encore de cabane de passage.

Deux gros jours de trajet dans les vallées arides de l’ouest et le rocheux plateau central nous amenèrent au Val Travers, une grande vallée glaciaire terminant dans un grand lac, et dont la cabane, l’une des plus anciennes encore en activité, à une réputation légendaire par son isolement et la présence de fumerolles à proximité. C’est aussi la cabane la plus à l’ouest accessible à pied et donc l’une des plus isolées.

Cabane de Val Travaers

Photo du Val Travers, avec la (petite) cabane en bas à droite.

La cabane en elle-même est particulièrement exiguë (peut-être aussi l’une des plus petites cabanes), mais offre un magnifique panorama, sublimé par un ciel bleu qui nous a suivi les deux jours que nous y passèrent. La prochaine étape de notre voyage sera port Couvreux en retournant vers l’est du plateau. Après dix heures de marche, nous arrivons dans cet ancien port de bergers qui était étonnement habité : la Curieuse avait déposé deux équipes de la réserve naturelle pour le suivi des populations de mammifères et de la flore locale. Nous fûmes donc accueillis par toute une troupe qui semblait presque comme former une autre petite ville cachée de l’archipel, un “vrai” port avec un navire au mouillage et une population significative.

Vue sur la Curieuse depuis les hauts de Port-Couvreux

Vue depuis les hauts de Port-Couvreux avec la Curieuse au mouillage. © M.T.

Nous formâmes, pour les deux jours où nous y restions, un important instant de vie dans cette vieille station abandonnée dans les années 30. Nos collègues restaient encore quelques jours sur place, nous les quittâmes après deux nuits sur place pour rejoindre notre récupération. Deux jours de marche plus tard, nous avions traversé la partie est du plateau pour rejoindre le golf dans l’anse de Saint-Malo où nous passons une dernière nuit dans la cabane en attendant le chaland le lendemain midi. Le temps d’aller faire un tour sur les hauteurs de Courbet avec de magnifiques vues sur l’ensemble du plateau et le trajet que nous venions de réaliser.

Photo de groupe sur le plateau

Même si notre trajet n’avait duré au final qu’une grosse semaine, une drôle de sensation nous a pris lorsque nous rentrions de la base avec le chaland : une sensation d’avoir voyagé des mois durant, de revenir dans un monde qui nous semblait comme une ancienne maison.

Les Kerguelen sont belles et vastes

Ces quelques récits sont un aperçu d’une partie des missions de terrain auxquelles j’ai participées. Pour autant, je suis loin d’avoir tout fait et tout vu, et même je n’ai même vu qu’une petite partie de ces îles pleines de secret et de régions inconnues. J’ai tout de même bénéficié d’une chance folle, ajoutée à un rôle particulièrement polyvalent utile au terrain, qui m’a donné la possibilité d’aller régulièrement en manip’ à des endroits très divers, ce qui est un grand privilège ici sur base.

L’été est passé à une vitesse folle, et pourtant tout le monde partage aussi l’impression d’avoir vécu mille aventures. Les mois sont devenus des années, avec chaque jour une nouvelle vie. L’automne, officiellement marqué par le passage du Marion mi-février, sera dans une ambiance différente notamment avec une météo plus ardue et un effectif réduit sur base.

Vous pouvez noter que je n’ai au final que très peu parlé de la vie sur base, qui occupe pourtant bien la moitié de mon temps sur divers travaux d’infrastructure et de réseau. Ce côté-ci fut aussi très intense (je vous ai dis que nous avons eu une prise d’otage ? (factice)), mais j’essayerai de faire un article dédié durant l’hiver.

Coucher de soleil Le soleil qui se couche sur Courbet Est.

D’ici là, je vous retrouve bientôt pour le prochain article sur l’automne à Kerguelen !